Sagarnoa

Sagarno ou sagardo, signifie littéralement « vin de pomme » (sagar = pomme, arno = vin).

 

Si on le nomme souvent en français «cidre basque», il est officiellement désigné comme une «boisson fermentée à base de pommes» car il contient trop d’acidité volatile, selon la norme en vigueur en France, pour être communément appelé cidre.

Généralement le sagarno se différencie des cidres normands ou bretons du fait de sa plus forte teneur en alcool. En effet, ces derniers titrent à environ 3 à 4 % vol. alors que la teneur en alcool de leur cousin basque se situe au-delà de 4,5% vol. De plus, les cidres du nord de la France sont habituellement sucrés et pétillants, contrairement à la boisson méridionale.

HISTORIQUE

La fabrication de cette boisson est très ancienne au Pays Basque. Les Romains produisaient du cidre et on pense donc que dès l’époque Gallo-romaine les Basques consommaient du sagarno. Selon certains auteurs, les marins basques auraient même fait découvrir cet alcool aux normands et aux bretons lors de leurs expéditions maritimes. En effet, les bateaux basques transportaient dans leurs soutes des tonneaux de sagarno, car ce breuvage, en plus d’être consommé traditionnellement, permettait de lutter efficacement contre le scorbut.

La première mention écrite de la présence de pommiers en Pays Basque date de la première moitié du 10e s., Don Lope Ortiz el Bizkaïno est moqué dans une chanson pour être « plus riche en pommes, qu’en blé et qu’en vin »[1]. Puis en 1014, un document signé de Sanche III de Navarre concernant la donation de terres au Monastère de Leyre mentionne des pommes et la fabrication de cidre.

Aimery Picaud en 1134 dans son Guide du Pèlerin, note que les basques ont des vergers et boivent du cidre.

Dès 1189, apparaît en Labourd, le premier règlement écrit sur les pommeraies, suivi d’autres ordonnances et décrets royaux en Navarre sur les pommiers et le cidre.

Si la culture de la pomme et la fabrication du cidre se développent beaucoup à partir du Moyen-Age, elles connaissent un déclin important durant le 18e siècle qui s’accentue jusqu’au milieu du 20e siècle, notamment du fait de l’apparition du vin dans les habitudes alimentaires au détriment du sagarno. Ainsi dans les premières décennies du 20e siècle, sa production ne subsiste qu’en Guipúzcoa. De là, partira la reconquête…

Le Guipúzcoa est en effet à l’origine de la nouvelle impulsion donnée à la production et la consommation du sagarno après la mort de Franco. Ainsi, en 1977 est créée l’association des producteurs de sagarno du Guipúzcoa. Elle invite le public à venir goûter le cidre nouveau. Le principe est de proposer aux clients d’apporter leur viande, alors que le producteur de cidre fournit l’accompagnement et la boisson. Ce système est à l’origine du succès des sagarnotegi ou cidreries actuelles, les producteurs de sagarno étant devenus également des restaurateurs. Le sagarno ensuite mis en bouteille est commercialisé et même exporté. Aujourd’hui, la demande est telle qu’une partie des pommes est importée pour permettre une production de cidre suffisante.

Si le Guipúzcoa et la région d’Astigarraga en particulier sont aujourd’hui encore les principaux producteurs, la fabrication a repris quasiment partout en Pays Basque.

A l’heure actuelle en Pays Basque français, plusieurs structures produisent et commercialisent du sagarno que ce soit en vente directe, en boutiques et supermarchés ou dans leurs propres cidreries. Des événements sont créés autour du sagarno ; le cidre a été mis à l’honneur pendant plusieurs années à Bayonne lors de « sagarno eguna » (la journée du cidre) et continue de l’être annuellement à Hendaye.

La pomme du Pays Basque est considérée comme un patrimoine à protéger comme l’atteste la création d’un verger conservatoire au Domaine d'Abbadia à Hendaye qui abrite une collection de variétés de pommes anciennes et locales. 

 

 

Inv n° 1879, Petit pressoir à cidre Bayonne, fin 19e s.,  Don A. Etchevar en 1927

Inv n° 1879, Petit pressoir à cidre Bayonne, fin 19e s., Don A. Etchevar en 1927

Inv. n° PH.83.19.389, Ascain, attelage basque, paysans charriant le cidre de contrebande  Reproduction d’une carte postale édition Dargains par l’atelier Macondo, déb.20e s.

Inv. n° PH.83.19.389, Ascain, attelage basque, paysans charriant le cidre de contrebande Reproduction d’une carte postale édition Dargains par l’atelier Macondo, déb.20e s.

FABRICATION

Le sagarno est élaboré, pour l’essentiel, avec des variétés de pommes locales : Anisa, Ondomotxa, Eztika, Peatxa et Peatxa-Gogorra, Mamula, Txakala, Mutur, Eri Sagara, Gordin Xuria…

La consommation est actuellement de 10 millions de litres par an.
Si en Pays Basque français elle est encore réduite, 150 000 litres en 2009, elle est d’un million de litres en Guipúzcoa. Le reste de la production est mis en bouteilles, c’est l’avenir de l’appellation Sagarno.

La fabrication commence par le choix des pommes à cidre. Il en existe trois catégories. Elles sont classées selon la saveur de leur jus :
pommes douces, riches en sucre, qui apportent une teneur élevée en alcool ;
pommes acides (acidulées à aigres) qui donnent au cidre une note fraîche et acidulée ;
pommes amères (et douces amères) riches en polyphénols, qui donnent du corps au cidre et une amertume plus ou moins forte.

Le producteur recherche un certain équilibre entre le sucre, l’acidité et l’amertume du breuvage final, qu’il obtient en créant un assortiment de ces trois catégories de pomme.

La récolte des pommes à cidre débute en septembre et s'étale jusqu'à la mi-décembre. Les fruits se ramassent à même le sol à la main ou à l'aide du kizki, un bâton de bois d'environ 50 cm auquel on a ajouté un clou à l'extrémité. Ainsi ramassées, les pommes sont mises dans des sacs ou paniers puis transportées jusqu'à la cidrerie. Elles sont alors réparties dans les silos.

Les pommes sont lavées et triées, elles sont ensuite broyées et réduites en pulpe ou pasta. Le résultat obtenu reste à macérer pendant plusieurs heures et passe ensuite au pressoir appelé en basque selon les lieux brentsa, dolare ou lakoa pour obtenir le jus de pommes.
Un repos de 7 heures est nécessaire pour décanter le moût et éliminer les lies.
La fermentation peut alors commencer. Elle est réalisée à des températures basses. Elle est donc lente pour que l’intégralité du sucre se transforme en alcool, en un ou deux mois. Le jus est fermenté  dans des kupela, ces grandes cuves de 15 000 litres, à la température des chais (environ 14°C). Elles sont traditionnellement en bois, mais on voit apparaître de plus en plus souvent des cuves en inox, ce qui permet de conserver le sagarno plus longtemps.

CONSOMATION

De fin janvier à avril, les sagarnotegi voient affluer les clients qui dégustent la production de l’année selon un rituel gustatif précis. C’est la saison du txotx, du nom du bouchon d’acacia qui ferme la kupela.

Le menu du repas partagé est souvent identique : omelette à la morue, morue grillée, côte de bœuf, fromage de brebis avec noix fraîches et pâte de coing. Il est traditionnellement pris debout, même si de plus en plus de cidreries proposent maintenant de s’asseoir autour de longues tablées.

Régulièrement, les convives se lèvent pour aller se servir le cidre au tonneau. Lorsque le txox est retiré, un jet fin de cidre frais jaillit. Les amateurs le recueillent habilement au fond du verre. Ils se relaient autour du tonneau, chacun présentant son verre à la suite de l’autre, afin de ne pas en perdre une goutte. Il ne s’agit pas de remplir son verre complètement : le sagarno se sert en petite quantité et se déguste à petites gorgées. Si on le sert d’une bouteille, il faut tenir le verre par le fond, du bout des doigts, et verser d’une hauteur de 40 centimètres environ afin que le jus rompe contre la paroi du verre.

[1] Cité dans ANGUIOZAR, En el Pirineo Vasco, Buenos Aires, 1944, p 89

Inv. n° CP.91.1.4, L’ancienne cidrerie du Musée Basque dans la première moitié du 20e siècle  Carte postale, phototypie Labrouche

Inv. n° CP.91.1.4, L’ancienne cidrerie du Musée Basque dans la première moitié du 20e siècle Carte postale, phototypie Labrouche