Telesforo Monzon : quand la poésie témoigne d’un vécu



La bibliothèque du Musée Basque possède deux recueils de poésie de Telesforo Monzon. Tous deux écrits alors qu’il était éloigné de sa ville natale, l’un en exil, l’autre une fois revenu au Pays Basque.

 

Telesforo Monzon est né à Bergara (Gipuzkoa) en 1904, dans une famille d’aristocrates[1], qui lui inculqua dans sa jeunesse une éducation intégriste et antilibérale[2]. Il a été un membre actif du PNB jusqu’à ce que les franquistes occupent Euskadi en 1937, les forçant lui et le Président du gouvernement basque, José Antonio Agirre à s’exiler. Excellent orateur, il a toujours été très apprécié pour cela[3]. Lorsqu’en 1940 les nazis occupent la France, il prend la mer à Marseille vers l’Afrique d’abord, avant de faire cap vers le Mexique 11 mois plus tard. C’est là-bas qu’en 1945 il publiera Urrundik – Bake-oroi son premier livre de poésies, qui annonçait une suite, Guda-oroi, qui n’aura jamais abouti.

Il rejoint ensuite le président Agirre au siège du PNB monté à New York, avant de repartir ensemble en 1946 à Paris, avec d’autres conseillers du parti. Monzon n’y reste pas, préférant revenir vivre à Saint-Jean-de-Luz, et en 1947 il y publie son second livre de poésies, Gudarien Egiñak. A partir de là, les désaccords entre lui et le PNB s’accentuent, l’incitant à quitter le parti en 1953[4]. Il fera partie des fondateurs d’Herri Batasuna en 1978, dont il sera aussi un des leaders[5], et le restera jusqu’à son décès en 1981.

 

Telesforo Monzon aura indubitablement été un des acteurs principaux de l’histoire politique du Pays Basque, et c’est surtout pour cet aspect-là que l’on se souvient de lui aujourd’hui. Il a d’autre part grandement contribué à la culture, que ce soit au théâtre, surnommé “aktore zalduntxoa” (le gentleman acteur) par Piarres Xarritton[6], ou auteur de paroles pour le duo Pantxoa ta Peio, un aspect artistique qu’il a surtout développé une fois son retour définitif au Pays Basque et après avoir quitté le PNB. Toutefois, ses deux livres de poésies ont été publiés avant : le premier en 1945 et le second en 1947, proche l’un de l’autre, mais sur des tonalités totalement différentes.

Dans Urrundik – Bake-oroi, ses écrits sont menés par cette effervescence de l’espoir qui habite celui qui veut revenir chez lui, comme si la poésie était pour Monzon un vecteur lui permettant de se sentir au Pays Basque tout en étant au Mexique. Selon Enrique Jaio[7], « Même si ces poèmes sont rudes, on ne peut pas dire qu’ils soient haineux. Ils sont beaucoup trop tendres considérant la misère que traversait le Pays Basque à ce moment-là[8] ». Même s’ils avaient pour base la nostalgie et le mal du pays, ces poèmes ont été écrits avec force, volonté et énergie, ils transmettent son amour illimité. Les derniers vers du poème Bakartasun ! en sont très représentatifs :

Maitasun batek egin niñun bidezkari

Ta maitasun orretxek biur bertsolari.

Euskalerri’ko oroitza neramala bizi,

Oartu izan nintzan bein... negola kantari...!

                                                               (Bakartasun! olerkia)

Nous nous trouvons en 1945, il est encore plein de courage et d’ardeur, les sacrifices sont encore frais et il tient bon. Peu de temps après, il se rendra au siège du PNB à New York, puis à Paris, avant de revenir à Saint-Jean-de-Luz, et c’est de là qu’il publiera son second livre en 1947, Gudarien Egiñak. Seul deux ans séparent ces deux œuvres, années jonchées d’événements. Il n’a même pas pu écrire la suite Guda-oroi qu’il avait prévu et annoncé, Gudarien Egiñak ayant pris le dessus.

Les changements survenus durant ces deux courtes années ont laissé des traces dans sa poésie. Le ton de Gudarien Egiñak est tout autre. Ce livre n’est pas issu de ses sentiments immédiats, comme lorsqu’il se donnait du courage au Mexique, mais bien de ses expériences passées. Il s’agit en effet d’une œuvre dédiée aux gudari, aux combattants basques, pour faire savoir ce qu’ils ont traversé, avec toute la douleur que cela sous-entend, pour les remercier de leurs sacrifices. Du poème Geuri lurrak ematen indarra… ! à Amaia, les thèmes principaux sont la mort des combattants, le sang, le bombardement de Gernika, les différents lieux de bataille. Il semble faire la thérapie du trauma qu’il portait en lui depuis ses expériences de la guerre à travers ces poèmes, en relatant ce qui s’est passé, comme s’il ouvrait enfin la porte à tout ce qu’il avait gardé en lui pendant toutes ces années. Pour Monzon, l’une des plus grandes sources de douleur était cette séparation entre les Basques, qu’il amènera partout avec lui dans sa vie politique, très visible dans son poème Lemona :

Euskotar! Begira eiozu kemenez

Lemona mendiari!

Bere bi aldetatik euskal odolez

busti zitzaigun mendi!

Alde batekoak euskaldun izan,

aurkakoak ere bai.

Anaiak alkar iltzen ari giñan

ta arrotzak orixe nai!

                                                               (Lemona olerkia)

Si le livre publié deux ans plus tôt était issu de son amour pour le Pays Basque, celui-ci en revanche venait de son amour pour les Basques, de la tristesse et de la douleur.

Il se peut que les réorientations que vivait le PNB aient eu une influence dans sa poésie, puisque c’est peu de temps après qu’il quittera le parti. Ce deuxième livre de poésie pourrait être représentatif du changement dans l’ordre des priorités au sein du PNB, celles de Monzon étant restées les mêmes jusqu’à la fin : le Pays Basque et l’unité du peuple basque. Le thème principal de Gudarien Egiñak est l’expérience traversée par les gudari basques, cette œuvre, offerte aux Basques, a été écrite en leur honneur, pour leur rendre hommage et en leur mémoire.

S’il peut donner l’impression d’avoir pris des virages radicaux dans sa vie politique, en la débutant au PNB et la finissant en tant qu’un des fondateurs et leaders de Herri Batasuna, en se penchant sur ces deux livres de poésies on se rend compte qu’il a en réalité toujours continué droit sur son chemin. Ses objectifs n’ont jamais changés, même s’il s’est essayé à différentes voies, l’axe est resté toujours le même: l’unité du Pays Basque entier.

 

 

 

Bibliographie

                Jaio, Enrique, 1992. “Telesforo Monzon-en olerkia”. Uztaro, 4 : 103-114.

Martínez Rueda, Fernando, 2016. “Telesforo Monzón, del nacionalismo aranista a Herri Batasuna: las claves de una evolución”. Revista de Estudios Políticos, 174 : 267-297.

Martínez Rueda, Fernando, 2018. “Telesforo Monzón, el nacionalismo vasco y la Guerra Civil: Historia y memoria”. Revista Universitaria de Historia Militar, Vol. 7, Nº 13 (2018) : 375-400.

Mees, Ludger, 2011. “Telesforo Monzon eta Jose Antonio Agirre : bi lagun, bi politika”. Hermes, 38 : 78-91.

Monzon-Olaso’neko, Telespor, 1945. Urrundik – Bake-Oroi. Lenengo idaztia. Mexique Talleres Gráficos Cultura.

Monzon-Olaso’neko, Telespor, 1947. Gudarien Egiañak. Olerkietan. Donibane-Lohitzune, Biarritz: Imprimerie Moderne.

Xarriton Zabaltzagarai, Piarres, 2021. “Telesforo Monzon-en mendeburua (1904-2004)”. EGAN, 57, 3-4 (eka. 2021) : 77-82.



[1] Mees, Ludger, 2011. “Telesforo Monzon eta Jose Antonio Agirre: bi lagun, bi politika”.

[2] Martínez Rueda, Fernando, 2018. “Telesforo Monzón, el nacionalismo vasco y la Guerra Civil: Historia y memoria”.

[3] Mees, Ludger, 2011.

[4] Mees, L., 2011 ; Martínez Rueda, F., 2016. “Telesforo Monzón, del nacionalismo aranista a Herri Batasuna: las claves de una evolución”. 

[5] Martínez Rueda, F., 2016.

[6] Xarriton Zabaltzagarai, Piarres, 2021. “Telesforo Monzon-en mendeburua (1904-2004)”.

[7] Jaio, Enrique, 1992. “Telesforo Monzon-en olerkia”.

[8] Traduction de l’auteure